L'affaire Ulysse, analyse judiciaire

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  • Publié le 20/11/2023
  • Mis à jour le 26/11/2024
DGSI

Un cimetière, une forêt, une cyber-infiltration, des interpellations à Strasbourg, un piège à Marseille : tous ces éléments sont réunis dans une belle affaire aux multiples rebondissements, Ulysse.

L’affaire Ulysse a comme particularité de mettre en avant la compétence judiciaire de la DGSI. Cela signifie que la direction ne se limite pas à des missions de recueil et analyse du renseignement mais étend son rôle jusqu’à la poursuite pénale des terroristes. Aussi, elle rassemble des preuves, traque et interpelle.

L’exercice d’une compétence judiciaire est un art difficile. Elle doit lier l’inventivité et la souplesse d’un service de renseignement avec la rigueur d’une procédure juridique. Surtout elle se construit en direct avec l’actualité. L’affaire Ulysse est en ce sens exceptionnelle.

Elle se déroule sur un temps relativement long à un moment où les évènements étaient nombreux et leurs enchainements rapides. En 2015 et 2016, l’organisation de l’État islamique organisait tout azimut des attaques contre notre pays, parvenant parfois, tragiquement, à atteindre son but. Mais si l’affaire Ulysse dura plusieurs mois, elle innova sous de nombreux aspects.

Récit inédit de deux enquêteurs, Paul et Catherine*, au cœur d’une affaire en quatre actes.

Premier acte : une cyber-infiltration

« Nous sommes début 2016, je suis alors enquêteur au sein du service judiciaire de la DGSI, mon pseudo est Paul. Selon une de nos sources, un projet d’action violente est en préparation sur le territoire français. Cette attaque serait diligentée par des responsables des opérations extérieures de l’État islamique et comprendrait des acteurs déjà présents en métropole. La DGSI saisie alors cette opportunité pour tendre un piège. »

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"Pour nous, le but premier est de récupérer les informations pour contrer la possible occurrence de l’attaque et poursuivre les auteurs terroristes en devenir.

En effet, le simple fait de participer à une organisation terroriste est constitutif d’une infraction. Le 3 mars, une enquête sous pseudonyme est autorisée. Notre technique utilisée est innovante : il s’agit une cyber-infiltration. Je travaille étroitement avec une collègue, agent du Service qui se fait passer pour un candidat au djihad. Je propose de la surnommer Ulysse, en référence au Cheval de Troie.

Elle parvient à accéder directement à un haut gradé de l’État islamique : un émir dénommé « Sayaff ». À travers lui, nous commençons un jeu masqué où nous tentons de collecter le maximum d’information pour entraver l’attaque en préparation."

La cyber-infiltration

L’infiltration est une technique de renseignement visant, pour un agent, à intégrer un milieu ou à aller directement au contact d’un objectif pour récupérer les informations nécessaires. On dit que l’agent agit sous couverture. La cyber-infiltration est la déclinaison virtuelle de l’infiltration physique. Elle est rendue possible par l’importance des réseaux sociaux. Elle permet notamment de contrer les messageries cryptées.

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"Jetant un appât, Ulysse répond à l’émir qu’il est en capacité de se procurer les armes qu'il lui demande, si une somme d’argent est dégagée de la part de l’organisation. Après quelques échanges, l’émir annonce que douze milles euros vont être envoyés. Quelques jours plus tard, il transmet la localisation : une fente dans une tombe au sein du cimetière de Montparnasse à Paris.

Suivant les indications données, je m’y rends avec une équipe et nous récupérons l’argent. À ce moment, l’enquête prend une nouvelle dimension : si toutes les informations passaient jusqu’ici par la voie virtuelle, la découverte de l’argent donne un élément concret et matériel à l’enquête".

Acte 2 : Le piège

« C’est là que j’entre en jeu… Mon pseudo à moi est Catherine ! Je suis également enquêtrice et je rejoins Paul sur cette affaire quand on découvre l’argent. Cette avancée prouve par-là la crédibilité de la menace. Nous renfonçons les effectifs. »

"Il nous faut à présent identifier les membres du réseau présents en France. Avec Paul et l’équipe, nous décidons qu’il faut poursuivre une tactique offensive : cacher des armes, renseigner à Sayaff leurs positions et surveiller la cache en permanence en attendant que des individus viennent chercher l’arsenal. La prise en « flagrant délit » nous permettrait non seulement de confondre celui qui viendrait faire la récolte mais aussi, en le suivant, d’interpeller d’autres terroristes.


Des armes factices, ainsi que des chargeurs sont cachés dans la forêt de Montmorency dans l’ouest de Paris et un dispositif de captation d’images est mis en place. Suite à cela, Ulysse informe Sayaff de la localisation des armes. Le piège est prêt. À la dernière minute, Sayaff souhaite que nous changions la localisation et que nous récupérions une arme pour passer à l’action. Notre agent refuse. La communication s’arrête. Malgré tout, je demande de continuer la surveillance, ce qui est accepté.


Pendant plusieurs mois, je tente avec Paul de relancer l’enquête. Mais elle semble battre de l’aile, jusqu’ à ce jour de novembre quand nous sommes saisis de deux autres affaires parallèles."

La judiciarisation du renseignement

La judiciarisation du renseignement consiste à traduire une information issue du renseignement en un élément pouvant être utilisé dans le cadre d’une procédure judiciaire. En effet, le renseignement n'a pas valeur de preuve, il va devoir être démontré par l'enquête judiciaire.

Acte 3 : Les interpellations de Strasbourg et Marseille

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" Le 14 novembre 2016, nous relayons une information au Parquet anti-terroriste sur un autre projet d’action violente sur le sol français. Le Parquet nous demande alors d'enquêter, ce qui conduit à l’interpellation, à Strasbourg, de deux individus : Yassine Boussera et Hitcham Makra. Les deux hommes prévoyaient une attaque d’ampleur le 1er décembre 2016.


Lors des perquisitions, nous découvrons avec Paul et d’autres enquêteurs du Service, que ces hommes ont mené des recherches sur Montmorency et même qu’ils sont informés de la localisation GPS de la cache d’armes telle que transmise par Ulysse à Sayaff.

Au même moment, Paul apprend qu’une autre opération est en cours "

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" Oui, en effet. Dans la ville phocéenne, une information avait révélé qu'un opérationnel souhaitait agir sur le sol français. Une autre opération de cyber-infiltration commence alors, où nous entrons en contact direct avec l’organisateur de l’attaque en devenir.

À cette infiltration virtuelle se succède ensuite une infiltration physique. Cette action est couronnée de succès. Elle permet l’interpellation d’un homme du nom Hitcham El Hanifi. Il était prêt à agir.

Les systèmes de captation d’images révélèrent que Hitcham El Hanafi s’était rendu à deux reprises le 14 novembre dans la forêt de Montmorency à une poignée de mètres de la cache d’armes. Les images le montraient, téléphone à la main, en recherche visible de quelque chose. "

Mais ce n’est pas sur les côtes méditerranéennes que s’est terminé le voyage d’Ulysse. L’acte final se joua, comme souvent, sur les planches du tribunal.

Dernier acte : le procès

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" Pour nous, enquêteur de la DGSI, le procès est la phase capitale. Durant cette dernière, des mois de procédures vont être exhibés, analysés, questionnés.

Ce moment n’est pas indépendant des autres. Pendant toute la durée des opérations, nous gardons cette finalité en tête où nous devons prouver la véracité des faits et la réalité de l’infraction par des preuves, des faisceaux d'indices ou des faits établis par l'enquête.

Ces procès sont longs, médiatisés, techniques. Dans l’affaire Ulysse, nous avons pu rassembler assez d’éléments pour confondre les terroristes. "

L'infraction

Pour caractériser une infraction, deux éléments sont nécessaires : l’élément matériel et l’élément moral. L’élément matériel vise à mettre en avant la réalité de l’infraction et ses preuves formelles. L’élément moral est celui qui vise à rechercher si l’auteur avait véritablement l’intention de commettre son acte. La première est physique et la seconde est psychologique.

Le 17 février 2021, près de quatre ans après leur arrestation, Hicham Makran et Yassine Bousseria sont condamnés à 22 ans et 24 ans de réclusion. Hicham El-Hanafi est condamné, lui, à une peine maximale de trente ans. En avril 2022, leur peine est confirmée en appel.


Quant à Sayaff, il est identifié comme étant Salah-Eddine Gourmat, un français faisant partie de la cellule de l'EI chargée des opérations extérieures. Il est tué le 4 décembre 2016 par une frappe américaine en Syrie.

 

*Leurs prénoms ont été modifiés pour garantir leur anonymat.

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