- Dossiers
- Publié le 01/02/2023
- Mis à jour le 26/11/2024
Le travail d’un enquêteur est un travail d’araignée. Nous tissons des liens entre des
acteurs, des lieux, des évènements.
Par-là, nous formons une toile dans laquelle viendront se prendre des femmes et des hommes, nuisibles à la France.
Cet ouvrage rigoureux et exigeant, nous devons le construire avec secret, ingéniosité,
tout en gardant en perspective une œuvre globale.
Pour ce faire, nous disposons de techniques spécifiques. Ces dernières jalonnent un long cheminement où le renseignement se transforme en preuves judiciarisées, permettant ainsi à terme d’entraver les terroristes en puissance. Dans cet article, nous vous présenterons les trames d’une procédure judiciaire en vous dévoilant certains dessous de l’affaire Kriket.
Cette opération s’est déroulée sur quelques mois, de 2015 à 2016. Elle est menée par toute une équipe de la DGSI, parmi lesquels deux enquêteurs Sophie et Eric*. Ils racontent comment, grâce aux compétences de tout le groupe, ils ont permis d’empêcher un nouveau choc de violence par l’arrestation d’une vaste cellule djihadiste étendue de la France aux Pays Bas. Cette cellule reposait sur un réseau fort, une organisation complexe et disposait d’un arsenal important et de nombreux appartements.
L’affaire Kriket est représentative d’une procédure judiciaire se déroulant sous pression. À ce moment, la France et l’Europe subissaient au plus fort les coups du terrorisme islamiste. C’est aussi une enquête extrêmement riche : Kriket se joue sur un terrain européen avec une très grande variété d’acteurs. Aussi, pour cette dernière raison et par souci de clarté, nous vous présenterons cette affaire en la concentrant sur deux individus clés : Anis Bahri et Reda Kriket.
Premier acte : LE DJIHÂD, UNE AFFAIRE DE FAMILLE
Le coup de départ de l’affaire est donné par l’arrestation de Tarek Bahri, le frère d’Anis Bahri.
En novembre 2015, l’homme d’origine tunisienne est interpellé à la frontière turco-syrienne. Saisies de l’affaire les autorités tunisiennes procèdent à une perquisition. Celle-ci montre l’attachement de Tarek à l’État islamique mais aussi les liens de Daech avec son frère.
Suite à cette perquisition Anis Bahri disparait. Pour nous, la course contre la montre commence.
Parallèlement, Réda Kriket est intégré à l’enquête.
En effet, j’apprends qu’Anis Bahri avaient voyagé ensemble en Syrie avec Reda Kriket. Nous le connaissons déjà en tant que financier et logisticien de la filière dite Zerkani. Il reversait une partie de ses braquages dans le cadre du financement du terrorisme.
De plus, Paul découvre qu’il était en relation avec Miloud Feia, un homme arrêté à Adana, au sud de la Turquie et mis en examen pour terrorisme.
Notre surveillance est efficace. Non seulement, un appartement conspiratif est découvert à Argenteuil mais Anis Bahri lui-même est identifié au volant d’une Peugeot Partner. Il utilise le parking de l’appartement pour garer le véhicule. La décision est prise de ne pas l’arrêter immédiatement : l’objectif est plus large, car de nombreuses personnes sont dans le viseur. Considéré comme un élément essentiel à l’enquête, la Peugeot fait, elle, l’objet d’une surveillance accrue.
Quelques jours plus tard, Anis Bahri repart, mais cette fois ci, en moto. Nous sommes informés qu’il s’introduit en Belgique.
Oui, nous nous apercevons que la Peugeot qui avaient été conduite par Anis Bahri repart d’Argenteuil et prend, elle aussi, la direction de la Belgique. Si au départ, le conducteur est inconnu, l’identité de celui-ci est rapidement révélée : il s’agit de Reda Kriket.
La découverte de Kriket marque une nouvelle étape dans l’avancée de l’enquête. Pourtant de nombreux éléments restent manquants.
Réussir à démontrer ces informations est pourtant absolument nécessaire. Sans preuves judiciarisées, pas de procès possible, pourtant, l’actualité, démontre l’urgence et … donne un coup d’accélérateur.
Le 18 mars 2016, après plusieurs mois de cavale, Salah Abdeslam, un des terroristes du Bataclan, est retrouvé et arrêté par nos collègues en Belgique.
Cinq jours plus tard, le 22 mars, entre 8 et 9 heures du matin, des détonations résonnent dans Bruxelles. En pleine heure de pointe, la capitale belge essuie une attaque d’envergure. Deux bombes humaines explosent dans l’aéroport de Bruxelles et une autre dans une rame de métro provoquant 34 morts et 250 blessés. Sur les caméras de surveillance, les hommes sont rapidement identifiés par les services belges comme étant des proches de Salah Absdeslam.
Alors que la Belgique panse ses plaies, la pression continue de monter : la menace d’un autre attentat est majeure. Si Bahri et Kriket ne sont pas les auteurs des attaques bruxelloises, rien n’affirme qu’ils ne profitent pas du contexte pour frapper à leur tour. Dans ces moments, le risque de réplique est grand.
Quant à Anis Bahri, il est toujours introuvable. Il nous faut faire vite. Le 24 mars, nous organisons la surveillance. Nous constatons le retour de Kriket à Boulogne-Billancourt. Le jour suivant, nous prenons la décision de l’arrêter. Avec le groupe d’intervention, nous perquisitionnons l’appartement d’Anis Bahri, auquel Kriket se rendait. Là, je n’en crois pas mes yeux. Le logement regorge un arsenal exceptionnel, une véritable “caverne d’Ali Baba du djihadiste”.
Nous y découvrons des kalachnikovs, des pistolets, des minutions, des passeports, des faux papiers, de la nitroglycérine, des chargeurs approvisionnés, quatre cartons avec des milliers de billes d’aciers, des bidons contenant de l’acide et même une bombe lacrymogène.
Pour remonter jusqu’à Anis Bahri, nous prenons la route du Nord avec Sophie et l’équipe.
Les numéros de téléphone sont ceux d’Ialloune et de Guettal, qui appartiennent à la même cellule djihadiste que Kriket. Les autorités néerlandaises, en partenariat avec la France, les repèrent à Rotterdam, avec, à leur côté: Anis Bahri.
Le 27 mars, Anis Bahri, Ialloune et Guettal sont interpellés ainsi qu’un quatrième homme, Zerguani, également membre du réseau. Deux jours avant, trois hommes de la cellule étaient arrêtés en Belgique. Fait partie du lot, Abderrahmane Ameuroud, déjà condamné en 2007 pour des faits de terrorisme et célèbre pour son influence idéologique dans le milieu.
Les découvertes qui suivent attestent le sérieux et la dangerosité de la cellule djihadiste. Dans l’appartement néerlandais, 44 kilos de munitions sont retrouvés. Une clé présente sur Anis Bahri, permet de découvrir un autre appartement à Rotterdam abritant des cartes d’identités, des cartes sims, des téléphones portables et autres ordinateurs. Ces matériels, exploités, confirment la voie meurtrière que prenaient les hommes.
Dans le téléphone d’Anis Bahri, une conversation est retrouvée avec un membre de l’État islamique.
Paniqué par l’arrestation de Kriket, Bahri lui demande une aide pour fuir l’Europe. Il sera remis à la France en 2016.
Dans les mois suivants des preuves supplémentaires sont recueillies.
En avril 2016, l’appartement conspiratif de Kriket est découvert. Des traces d’ADN d’Ameuroud sont trouvées sur un fusil d’assaut et un pistolet de l’appartement d’Argenteuil, ainsi que les empreintes de Kriket sur un sac contenant des armes à Rotterdam.
Six ans plus tard, en juin 2022, Réda Kriket, Abderrahmane Ameuroud et Anis Bahri sont condamnés en France à 30 ans de réclusion en appel pour leur projet d’attentat. Le procès montrera que l’attaque déjouée par la DGSI visait probablement l’euro de football 2016.
*Leurs prénoms ont été modifiés pour garantir leur anonymat.
De la saisine à la cour d'assises
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