La France face au défi du jihadisme

hommage aux victimes du terrorisme islamiste
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Le terrorisme est un mode d’action violente au service d’une idéologie. Historiquement, trois formes de terrorisme  sont apparues en France à partir de la fin du XIXe siècle :
  • le terrorisme révolutionnaire, qui souhaite changer radicalement la forme de l’État en poussant la population vers la lutte armée ;
  • le terrorisme de libération, qui réclame l’indépendance d’une partie du territoire d’un État ; 
  • le terrorisme étatique, qui traduit la volonté d’un État d’accroître sa capacité d’influence hors du champ diplomatique, par des actions clandestines et contraires au Droit international.

Protéiforme, le terrorisme international cible la France depuis les années 1970. Cette menace trouve d’abord sa source dans des conflits extérieurs à nos frontières, servant jusqu’au milieu des années 1980 des revendications nationales ou des intérêts étatiques.

Les années 1990 sont celles de l’émergence d’une menace terroriste d'inspiration islamiste radicale, en relation avec la guerre civile algérienne. Elle est favorisée par le développement de l’idéologie salafiste en France, portée par des islamistes algériens ayant fui leur pays ou par les réseaux du Groupe Islamique Armé (GIA).

Enfin, à compter du début des années 2000, la France est visée par la menace jihadiste globale insufflée par la mouvance Al-Qaïda puis par l’État Islamique. Cette menace tend aujourd’hui à s’autonomiser en s’émancipant en partie de l’influence de ces organisations terroristes.

Terrorisme de « libération nationale » et terrorisme d’Etat dans les années 1980

Issues de l’Organisation de Libération de la Palestine (OLP), des factions terroristes palestiniennes prennent pour cible des intérêts israéliens et la communauté juive en Europe dès les années 1970, à l’instar de l’attentat des Jeux Olympiques de Munich, commis par l’organisation Septembre Noir en 1972. En France, le groupe Carlos commet plusieurs attentats au cours de cette période, qu’il revendique au nom de la cause palestinienne. Parallèlement, des groupes palestiniens ciblent la communauté juive en France. Le 3 octobre 1980, un attentat à la bombe vise la synagogue de la rue Copernic à Paris faisant quatre morts et des centaines de blessés. Le 9 août 1982, un groupe dissident de l’OLP commet un attentat meurtrier qui cible un restaurant juif rue des Rosiers à Paris. 

À la fin des années 1980, en raison d’une évolution de la situation internationale qui leur est défavorable et d’une pression accrue des États visés, les groupes terroristes perdent leurs principaux commanditaires et soutiens, et cette forme de violence se tarit progressivement.

Au milieu des années 1980, l’Iran, alors en guerre avec l’Irak et principal porte-drapeau de l’islamisme politique, commandite des attentats en France, en représailles à divers contentieux opposant les deux États et au soutien apporté par la France à l’Irak. À la même époque, les intérêts français au Liban puis en France sont frappés par le Hezbollah. En 1986, un réseau terroriste qui lui est lié commet une série d’attentats à la bombe en France : 10 attaques causent la mort de 14 personnes et en blessent 300 autres, notamment rue de Rennes à Paris, le 17 septembre 1986.

L’apparition du terrorisme jihadiste : les années 1990

En 1992, à l’interruption du processus électoral en Algérie, des militants islamistes prennent le maquis et fondent notamment le Groupe Islamique Armé (GIA), lequel s’engage dans une démarche radicale d’inspiration salafiste-jihadiste (massacres de civils, assassinats de coopérants français).

Le GIA critique vivement la France, accusée de soutenir le régime algérien. Le 24 décembre 1994, 4 terroristes du groupe prennent le contrôle d’un aéronef d’Air France à l’aéroport d’Alger. Ils abattent 3 voyageurs avant de décoller vers Marseille (13), où ils retiennent les passagers de l’avion en otages, jusqu’à leur neutralisation par le GIGN. En 1995, le GIA décide de passer à l’offensive sur le territoire national. Durant l’été, 6 attentats frappent la France, notamment à Paris, où un attentat à la bombe fait 8 morts et 119 blessés, à la station RER Saint-Michel, le 25 juillet 1995. Les membres du réseau du GIA présents sur le territoire national sont arrêtés ou neutralisés au cours des mois suivants.

L’influence d’Al-Qaïda sur la mouvance islamiste radicale française

Dès 1996, des individus issus de diverses mouvances salafistes-jihadistes du monde arabe se regroupent en Afghanistan, alors contrôlé par les Taliban. Al Qaïda, dont la genèse remonte à la fin de la décennie précédente, s’impose à la fin des années 1990 comme porte-parole d’un nouveau mode d’engagement jihadiste en déclarant la guerre à l’Occident. La France figure parmi les pays visés, en raison de son statut d’allié des États-Unis et de son rôle historique en Afrique.

Sous l’influence d’Al-Qaïda, des filières de recrutement se structurent sur le territoire national, connectées aux théâtres de jihad successifs. Deux principales zones attirent des volontaires français : l’Afghanistan et l’Irak.

Entre 1998 et 2001, une quarantaine de volontaires français rejoint ainsi les camps d’entraînement d’Al-Qaïda en Afghanistan. L’intervention américaine dans le pays, en décembre 2001, provoque l’interruption de ces flux. Toutefois, une vingtaine de départs est encore enregistrée entre 2007 et 2012. Le théâtre irakien émerge à partir de 2003-2004 : emblématique, la filière parisienne dite des Buttes-Chaumont organise ainsi le départ d’une demi-douzaine de volontaires, dont plusieurs futures figures du terrorisme hexagonal.

Les filières jihadistes servent de creuset à un engagement durable dans le terrorisme. Ainsi, dans les années 2000, des projets terroristes sont portés par des vétérans de ces filières ou par des individus issus de leur environnement. Des vétérans d’Afghanistan sont impliqués dans plusieurs projets terroristes parrainés par Al-Qaïda au début des années 2000 : le 25 décembre 2000, quatre individus sont arrêtés à Francfort (Allemagne), alors qu’ils préparent un attentat visant le marché de Noël de Strasbourg. En septembre 2005, un ancien cadre du GIA, condamné pour avoir apporté un soutien logistique aux attentats de 1995, est arrêté alors qu’il préparait un attentat.

À la fin des années 2000, la raréfaction des théâtres de jihad accessibles limite la possibilité, pour les islamistes radicaux français, de s’entraîner et de s’aguerrir en zone de conflit. Parallèlement, l’attrition des cadres - symbolisée par la mort d’Oussama Ben Laden au Pakistan le 2 mai 2011 – et des moyens opérationnels d’Al-Qaïda entravent sa capacité à organiser des opérations extérieures.

Après une période de relative accalmie, l’année 2012 est celle d’une résurgence de la menace terroriste, marquée par les premiers attentats en France depuis 1996. Délinquant de droit commun radicalisé, entraîné à l’usage des armes à feu dans les zones tribales pakistanaises où il s’est rendu en 2011, Mohammed Merah tue sept personnes à Toulouse (31) et Montauban (82), du 11 au 19 mars 2012. Trois militaires et quatre membres de la communauté juive, dont trois enfants, perdent la vie lors de trois attaques différentes.

Attaques projetées, soutenues, inspirées : la triple menace terroriste de l’État Islamique

L’éclatement de la guerre civile en Syrie en 2011 ouvre une nouvelle terre de jihad où émerge une organisation jihadiste de référence, l’État Islamique (EI). En cinq ans, plus de 1400 volontaires partis de France rejoignent le théâtre de guerre syro-irakien et intègrent en majorité les rangs de l’EI. Composé d’un tiers de femmes, d’un cinquième de convertis et d’une partie significative d’individus sans ancrage préalable dans la mouvance radicale française, ce phénomène est inédit par son ampleur et par la diversité des profils qui y participent.

L’émergence de l’EI et le phénomène massif des filières du jihad syro-irakien constituent le creuset et la trame de fond de la plus importante vague d’attentats recensée en France. Ces actions sont menées par des jihadistes formés sur zone et projetés sur le territoire national par le «Bureau des opérations extérieures de l’EI» (structure en charge de la planification et de la préparation des attentats), par des acteurs endogènes soutenus dans leurs projets par des jihadistes présents sur zone ou par des individus directement inspirés par la propagande de l’organisation terroriste.

Depuis 2012, les attentats terroristes ont causé la mort de 273 personnes et fait de très nombreux blessés. Par ailleurs, 79 attentats ont été déjoués, dont 69 par l'action de la DGSI.

Le 7 janvier 2015, les frères Saïd et Chérif Kouachi assassinent 12 personnes à l’arme de guerre dont huit membres de la rédaction de l’hebdomadaire Charlie Hebdo. Les deux frères, dont l’un est un ancien membre de la filière des Buttes Chaumont, revendiquent leur attaque au nom d’Al-Qaïda au Yémen où le plus jeune, Chérif, s’est rendu en 2011 pour se former au maniement des armes. Dans une attaque coordonnée, l’ancien délinquant de droit commun affilié à l’EI Amédy Coulibaly assassine une policière le 8 janvier 2015 et quatre personnes présentes dans l’épicerie juive Hyper Cacher porte de Vincennes (94) le lendemain.

Le 13 novembre 2015, un commando, dont neuf des dix membres ont été formés en Syrie, commet la série d’attaques la plus meurtrière jamais connue en France. En début de soirée, trois terroristes déposés par un chauffeur se font exploser aux alentours du Stade de France (93) qui accueille un match de football – un mort –, trois autres tirent au fusil d’assaut sur des clients assis en terrasse dans les 10 et 11e arrondissements de Paris (75) – 39 morts – et les trois derniers pénètrent dans la salle de concert du Bataclan (75) où ils tirent dans la foule puis font exploser leurs ceintures d’explosif – 90 morts –. Minutieusement planifiée depuis la zone syro-irakienne par le bureau des opérations extérieures, l’attaque constitue l’aboutissement de la stratégie des opérations extérieures de l’EI en Europe.

Au schéma de la menace projetée, prééminente en 2015, se substitue progressivement celui des projets terroristes mis en œuvre par des acteurs endogènes vivant en France, soutenus opérationnellement par des jihadistes présents en Syrie ou inspirés par la propagande jihadiste. Ces projets sont portés par des individus qui, ne s’étant pas aguerris au Levant, utilisent principalement des modes opératoires sommaires, à l’instar des véhicules-béliers ou des armes blanches. Le 13 juin 2016, Larossi Abballa assassine un policier et sa compagne, adjointe administrative, à leur domicile de Magnanville (78). Le 14 juillet 2016, Mohamed Lahouaiej-Boulel fonce au volant d’un camion de plusieurs tonnes sur la foule rassemblée à l’occasion de la fête nationale sur la promenade des Anglais à Nice (06) – 86 morts-. Le 26 juillet 2016, Adel Kermiche et Abdel Malik Petitjean égorgent un prêtre à Saint-Etienne-du-Rouvray (76).

Alors que la défaite territoriale de l’EI réduit ses capacités de projection d’attaques, la menace endogène se perpétue et évolue. De plus en plus souvent portée par des individus radicalisés en solitaire, notamment sur Internet, elle révèle, dans la période récente, une autonomisation idéologique des acteurs de la menace vis-à-vis des organisations terroristes. Ces jihadistes reproduisent les modes opératoires violents promus par celles-ci de manière indépendante de leur influence idéologique. Leur passage à l’acte est souvent catalysé par un événement personnel ou un épisode médiatique.

Le terrorisme jihadiste pose deux défis aux sociétés démocratiques : le premier est celui du coût humain et matériel des attentats. Le second touche aux valeurs fondamentales de celles-ci : le terrorisme veut détruire le Contrat social qui lie leurs citoyens.

L’intervention de la coalition militaire internationale au Levant ainsi que l’action des services de sécurité dans les pays ciblés, ont permis d'endiguer la menace terroriste jihadiste. Pour autant, celle-ci demeure à un niveau élevé, et aujourd’hui majoritairement portée par des acteurs solitaires. La détection préventive de ces terroristes constitue un enjeu primordial.